Piocher dans sa liseuse des livres selon l’humeur quand on est loin de chez soi c’est tout de même formidable. C’est ainsi qu’en une semaine d’éloignement, je me suis propulsée dans de multiples univers qui font et défont la vie, des vies… Patchwork d’existences. Et comme le temps ou l’énergie me manquent, je vais dire quelques mots de tous ces livres dans ce même billet. Et … je ne répèterai jamais assez l’avantage de ce mode de lecture nomade qu’est la liseuse, dans n’importe quel lieu, ma Kobo est désormais en permanence dans mon sac, et rassurez-vous, elle copine merveilleusement bien avec mes livres papier.
La solitude du baiseur de fond, suivi de La Bataille de Koursk, de Sébastien Doubinsky
La comedia des ratés, de Tonino Benacquista
Homo erectus, de Tonino Benacquista
La femme aux chiens, l’Erotin
Partition pour un orgasme, de Julie Derussy
Radiographie, d’Eric Dubois
C’est encore l’hiver, d’Eric Dubois
Engrenages (relecture)de Eric Neirynck
Mon mari est un homme formidable de Eve de Candaulie
L’ensemble est éclectique, mais justement, ce fut assez savoureux – parfois salutaire- de sauter d’un univers à l’autre. Je n’ai pas toujours franchement rigolé autant le dire, l’Engrenage d’Eric Neirynck, est une novella qui fiche le mouron, le narrateur, dépressif chronique, cherche désespérément l’amour mais tout foire toujours, pourtant la narration est intéressante et il y a de belles trouvailles littéraires car Eric Neirynck ne manque pas de talent, son texte s’ouvre sur sa relation avec sa psy, l’accroche paraît très cliché, le patient déprimé et la toubib sont comme des silex qui se frottent l’un à l’autre, bref ils finissent par baiser mais pas pour les mêmes raisons. Et puis, tout s’enchaîne très mal pour lui après ce corps à corps éperdu, mais à force de quête effrénée de reconnaissance, le cri d’amour devient tellement obsédant que je n’ai eu qu’une hâte : terminer ma lecture pour me libérer de cette plainte égocentrique. Malgré tout c’est un bon texte.
Mon mari est un homme formidable, d ‘Eve de Candaulie, est un texte d’ autofiction, la jeune femme très engagée dans sa façon libertine et libertaire de vivre, raconte comment elle a choisi de se placer sous le joug du désir candauliste. Son mari qu’elle adore lui rend merveilleusement bien cette adoration en l’accompagnant dans son goût du sexe joyeux et solaire, de l’exhibition et du pluralisme. Eve de Candaulie écrit très bien, elle ne se contente pas d’enchaîner la description minutieuse de ses libations, il y a réellement un plaisir du texte qui se dégage de son livre publié en plusieurs tomes. A terme, une inévitable répétition des situations peut lasser si on en se délecte pas soi-même de ce tohu bohu des corps. Et puisque dame Eve manie bien la plume et ne manque pas d’intelligence, on ne saurait trop l’encourager à persévérer dans l’écriture en fouillant un peu plus l’âme de la candauliste …
J’ai adoré La comedia des ratés de Tonino Benacquista. Ce roman couronné du Grand Prix de littérature policière en 1991 est pourtant beaucoup plus qu’un roman policier, certes il y a l’intrigue délicieusement absurde, mais l’auteur parle aussi – et si bien ! – de quête de ses origines, de paysages urbains et campagnards, d’amitié, d’Italie, de gastronomie, ah…les passages sur les pâtes et ses recettes… Bref, je n saurais trop vous conseiller d’ailleurs toute l’œuvre de Tonino Benacquista, absolument ravigotante à tout point de vue, et vous pouvez offrir ses livres les yeux fermés.
La poésie, nous en avons besoin plus que jamais. Radiographie, et C’est encore l’hiver, d’Eric Dubois sont des fragments de vie, des gestes, des caresses et des souffles sur l’âme. La poésie ne se résume pas, ne s’analyse pas non plus. Je trouve curieux d’être réfractaire à la poésie, nos esprits trop cartésiens sont stérilisés, nous sommes emmurés par le foutu sens des choses. Eric Dubois nous apprend à respirer et à lâcher prise.
Et que dire de La femme aux chiens, de l’Erotin ? Que c’est évidemment transgressif, certes. Zoophile, absolument. Dégueulasse, quand même aussi, un passe… mais la meute bon sang…. Cette paraphilie est aujourd’hui interdite dans de nombreux pays, d’après ce que je lis sur → Consoblog , la France depuis 2004 punit la zoophilie mais le texte de loi n’est pas clair car on sanctionne “Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité » et c’ est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Des sévices de nature sexuelle est-il écrit. Sauf qu’ici, les chiens de l’héroïne de l’Erotin ne semblent pas du tout souffrir, sauf peut-être de fatigue tellement la dame est gourmande. Il n’y a rien à redire sur la qualité littéraire du texte présenté comme un recueil documentaire psycho-pathologique sur les aberrations sexuelles chez la femme normale tombant à la bestialité la plus raffinée. C’est vrai, c’est à la fois raffiné et sauvage. Tellement bien décrit qu’une odeur moite et forte de toutous excités se dégage de la lecture. Parce que la meute suffit à peine à rassasier la dame qui a une revanche à prendre sur l’homme, violée qu’elle fut par un satyre. La saillie du chien, au moins, c’est elle qui l’orchestre, et de main de maîtresse. . Bon alors, cette femme aux chiens m’inspire quoi ? Du trouble ma bonne dame et mon bon monsieur, oui, ça trouble cette chose insensée, il y a quelque chose de la fascination à lire une telle fureur de désir bestial. Qui vire… a force de la rage de l’héroïne d’en vouloir toujours plus, à l’indigestion et une grande envie d’air pur, d’embruns venus du large pour laver toutes ces humeurs, nom d’un chien !
Après cette exhibition de chiennasserie, c’est la belle narration pudique (au contraire de son titre) de la solitude du baiseur du fond , de Sébastien Doubinsk . Une relation amoureuse homosexuelle dans l’univers rude de la pornographie et de la prostitution. Le narrateur regarde son amant dormir. C’est sans doute sans issue, mais la beauté du sentiment tendre qui l’anime est douce au lecteur, tout comme sa lucidité : « On va s’en tenir là. Et continuer de rêver malgré tout, malgré toutes leurs conneries et leurs saloperies d’élections à la noix qui ne changeront jamais rien à rien, parce que finalement, le monde, c’est rien que les baiseurs, les baisées et les baisés. Et puis c’est tout. C’est vraiment tout. » Moi, j’aime bien cette façon douce amère de dire la violence du monde, sans vouloir l’analyser, sans l’intellectualiser, juste laisser couler la vie. Cette courte nouvelle est suivie de La Bataille de Koursk, je me demande qu’elle est la cohérence qui a motivé la réunion de ces 2 titres dans ce volume. Mais cela ne me gêne finalement pas, il est intéressant de lire tous les écrits d’un même auteur et j’ai été bien contente de prendre connaissance de ce très court et bon texte au cours duquel le narrateur raconte comment une bavette mangée un soir au bistrot et un documentaire sur la bataille de Koursk qui passait la veille à la télé peuvent créer un lien entre des hommes qui ne se seraient jamais parlé. Belle découverte que celle de cet écrivain qui publie aux éditions E-Fraction, chouette maison d’édition.
Restons dans les choses du sexe avec Julie Derussy, elle nous joue sa Partition pour un orgasme avec légèreté et habileté, son écriture est tenue par quelque chose à raconter et c’est bienvenu pour sortir un peu du thème érotique qui finit par tourner toujours autour du même pot, si j’ose dire… Sa jeune héroïne est soprano et rousse, elle est totalement décomplexée et vit sa vie sexuelle au gré de ses désirs et de ses pulsions, le cœur en bandoulière. Mais le discret professeur d’histoire médiévale qu’elle rencontre va bouleverser sa façon d’envisager la vie car lui est plutôt fasciné par le couple de Tristan et Iseult, c’est dire l’océan qui les sépare… à priori, car l’attraction des opposés est bien connue et ces deux-là n’en finissent pas de se désirer. Leur histoire commune n’est pas mièvre, l’un et l’autre tentent de s’apprivoiser pour ne pas renoncer à la magie de leurs étreintes. La narration est bien menée, drôle et piquante. Motus sur l’épilogue, Julie Derussy ne compose pas avec la nature de ses personnages et ne cherche pas à plaire au lecteur, et c’est tant mieux.
Avec Homo erectus, de Tonino Benacquista , auteur talentueux de la Comedia des ratés dont je vous ai parlé ci-dessus , vous saurez tout sur les hommes et la façon dont ils pensent et vivent l’amour, et c’est inattendu et drôle. Des hommes qui parlent, c’est déjà quelque chose… Trois hommes, parmi tout un groupe, se retrouvent à des réunions masculines genre alcooliques anonymes sauf qu’eux sont des amochés anonymes de l’amour et des femmes. Chacun avec leurs ratages, leur colère, leurs espérances, leur lucidité et leur naïveté, libèrent la parole et échangent sur les femmes, les leurs et toutes les autres. C’est décapant, intelligent et sans concession.
→ Retour Page d’Accueil et autres chroniques