Lorsque l’éditrice des éditions Clément m’a proposé de prendre connaissance de ce livre « Ecrire un livre érotique », j’ai été plutôt dubitative, pensant que ce livre faisait partie du lot opportuniste de l’effet 50 Nuances. D’autant plus que je suis allergique aux modes d’emploi et guides d’écriture du désir…( dire le désir s’apprend-il ?)
Mais curieuse, j’ai accepté et je reconnais volontiers que Silvia Adela Kohan va rendre service à tous ceux qui, happés par la vague tentatrice, décident d’écrire un livre érotique. Car, déjà ils ont tout faux…voilà bien, nous dit l’auteur, un très mauvais départ, que cette volonté soudaine d’écrire le sexe, sans autre projet littéraire ….Le 1er chapitre pose les bases du sujet : toute oeuvre créatrice est érotique. Sous entendu, l’érotisme ne se borne pas à aligner les mots et les postures du sexe et du coït.
Et l’auteur de citer Bataille : Le sexe exercé comme littérature et l’écriture exercée comme érotisme, sont des sources de connaissance. ou encore Italo Calvino qui déplore que les images et les mots de l’érotisme sont abîmés et inutilisables. Cet ouvrage a donc déjà le grand mérite de replacer l’écriture érotique dans une activité de recherche plutôt que de loisir.
Il est sans doute utile ici, d’ailleurs, d’informer que le 1er Master de Création Littéraire 2013/2014 vient de s’ouvrir à Paris 8. La littérature est un art, il y a des cursus d’études d’arts plastiques, des masters de recherche comme d’arts appliqués, pourquoi pas alors, de littérature appliquée, donc de création littéraire, d’écriture ? Cela reste tout un débat…Hélène Merlin-Kajman, prof de littérature à la fac de la Sorbonne et romancière, disait à ce propos dans une interview du Monde, en avril, …[Je crains que cela ne constitue une forme d’annexion de la littérature à la communication. Sans pour autant être partisane de la vision du génie solitaire, je trouve important de maintenir la création littéraire et la rhétorique dans un rapport de tension…] L’enseignante rappelle que pour écrire, il faut avoir été touché par ses lectures, qu’il faut lire, encore et toujours, or elle a constaté en 2008 que dans son université l’atelier de lecture comptait ..2 inscrits alors qu’il y en avait 100 en atelier d’écriture ( A ce propos, bien souvent, dans les salons du livre , on compte plus d’auteurs que de lecteurs…).
Ecrire un livre érotique n’est d’ailleurs pas réellement un guide, ni véritablement un essai. C’est une courte réflexion sur l’écriture érotique, elle est structurée et se réfère à des écrivains et des philosophes, avec de nombreux extraits intéressants pour étayer les points abordés. C »est bien là, finalement l’utilité de ce livre, cette forme sans prétention, qui sans nul doute ralliera nombre de lecteurs/auteurs soucieux de comprendre l’écriture du désir érotique. Les chapitres relatifs à la narration, au narrateur, aux points de vue etc…leur feront en tous cas comprendre qu’écrire un livre érotique ne dispense pas du savoir faire de l’écriture tout court, qui n’est ni celle du cahier intime ni celle des rédactions sur le thème des fantasmes.
Les principes d’écriture de l’auteur sont somme toute, classiques ; issue du milieu littéraire, diplômée en philologie, spécialiste des techniques de créativité littéraire, Silvia Adela Kohan a créé les ateliers d’écriture « Grafein » en 1975. Elle collabore au supplément culturel « La Nación » de Buenos Aires et est l’auteur de nombreux ouvrages sur ces thèmes. Page 6 ( numérotation du format e-pub) on n’échappe pas au combat vain, érotisme/pornographique, mais celui-ci est intelligiblement posé. Je regrette juste quelques points : la notion de l’esthétisme avancée…l’érotisme doit être esthétique, c’est cela qui doit le différencier du discours obscène et porno, et la pornographie n’aurait pas de valeur littéraire et ne s’inscrirait pas dans une démarche artistique……Je ne souscris évidemment pas à cela. Cette interférence du « beau » est tout à fait subjective et la laideur, l’obscénité, le porno peuvent être parfois d’un grand esthétisme.
Les chapitres du livre abordent donc l’univers érotique, les modes de conduite d’un récit, le corps comme indice, la construction narrative, les artifices efficaces, le langage du désir, suggèrent des thèmes à explorer et proposent des lectures. Ce livre ressemble à un cours de littérature généraliste avec option érotisme. Et en matière d’érotisme , des suggestions et conseils sont proposés. Il sera bien nécessaire à beaucoup qui se lancent dans l’écriture coquine, trop souvent sans culture littéraire, sans les dispenser pour autant de lire, lire, encore et toujours…et de nourrir leur imaginaire et leur esprit, comme ils nourrissent leur corps. Et par curiosité, même ceux qui pensent ne pas en avoir besoin, peuvent quand même y consacrer un peu de temps, histoire de cultiver leur humilité ou d’exercer leur esprit critique …Et pour les allergiques aux méthodes, conseils etc..et ceux qui ne jurent que par eux-mêmes, ou veulent cheminer dans la contre-culture, il ne leur reste plus qu’à se mettre au travail et à exceller…
Ecrire un livre érotique, Silvia Adela Kohan, traduit de l’espagnol par Valeria Selinger et Caroline Pastorelli- éditions Clément – octobre 2013- 203 pages – existe en format papier et numérique e-pub.
→ une amusante vidéo promo faisant référence à l’engouement de l’écriture érotique.