Autant l’avouer, cet essai de Stéphane Dumas n’est pas toujours facile à lire, comme tous les essais d’universitaires. Entre le jargon abscons et les méandres d’explications censées éclaircir le message, on peut se décourager et j’ai passé bien des pages. Cependant cette histoire de peau
fascine quand même et une large partie du texte reste accessible au grand public, avec des références culturelles passionnantes et une iconographie contemporaine pour le moins étonnante.
« En tant que bord d’un corps, la peau a une position privilégiée d’interface entre une personne et le monde. »
Stéphane Dumas est plasticien, théoricien de l’art et chercheur. Il travaille sur la peau comme présence du corps fragmenté. Son essai se veut dialogue entre la philosophie de l’art et la physiologie cutanée.
Beaucoup plus qu’une simple enveloppe, la peau est une étendue et une épaisseur, elle est en perpétuelle connexion entre l’intérieur et l’extérieur, c’est une surface d’inscription, un langage, un médium, un support mais elle s’enracine aussi dans le corps, au contact des viscères.

Toutes les expressions de la langue françaises qui parlent du corps font sens et Se mettre dans la peau de l’autre et J’aurai ta peau n’y dérogent pas, Stéphane Dumas l’illustre notamment avec la suspension qui précède le dépiautage, l’enveloppe cutanée est en équilibre, moitié maintenue, moitié abandonnée, dégoulinante. Le sculpteur en révèle l’anatomie et les artistes contemporains utilisent beaucoup les suspensions, parfois même avec des modelages de leur propre corps, moitié solide moitié masse liquéfiée. La peau comme un gant retourné est transfigurée par l’artiste en don de soi.
Stéphane Dumas ne cesse de puiser dans la mythologie pour éclairer l’art contemporain qui joue
avec la peau et ses secrétions. Il relate par exemple le récit d’Orphée dont la tête chante encore après être détachée du corps pour aborder la question du corps fragmenté et la notion de territoire. A ce propos Dumas présente le travail d’Olivier Goulet, une véritable curiosité qui fait oeuvre salutaire lorsqu’on se donne la peine d’y réfléchir.

J’ai eu du mal avec les chapitres scientifiques sur la biologie et l’architecture de la peau., trop savants pour moi…qui précèdent ceux qui se penchent sur les inscriptions sur la peau (scarifications, entailles, blessures, les violences qu’on lui inflige). Les chapitres suivants explorent son épaisseur traversée ou qui fait surface, illustrés par exemple par l’artiste Jana Sterbak avec Vanitas, Robe de chair pour albinos anorexique, une robe confectionnée d’un patchwork de steaks…et vous apprendrez même que c’est du flanchet,
les steaks….et qu’ils sont salés pour éviter la putréfaction…Mais ne rigolez pas si vite, Stéphane Dumas nous explique que la robe ‘albinos anorexique révèle plein de choses sur les femmes anorexiques : La photo montrant la robe portée par une jeune femme donne l’étrange impression que cette parure n’est autre que la face interne de sa peau diaphane, retournée et « expeausée » avec la viande qui y adhère.

Vous pouvez retrouver sur le site de Stéphane Dumas son travail sur les peaux créatrices → c’est ici
Stéphane Dumas- Les peaux créatrices – Esthétique de la sécrétion – Editions Klincksieck – 2014 – 494 pages – 45 euros.
Oui, même si c’est assez universitaire comme écriture, le sujet est réellement captivant, et s’adresse à tous ceux qui s’intéressent au corps comme à l’art, ou même à l’érotisme d’ailleurs. Et le fil rouge du mythe de Marsyas guide vraiment le lecteur. La peau, plus un épiderme superficiel mais quelque chose de très proche de ce que nous sommes et pouvons dire de nous et du monde.
Le sujet est passionnant…
Et ton article donne très envie de se plonger dans la lecture de cet essai, même s’il semble quand même assez hermétique parfois!