Bien sûr l’oeuvre érotique d’Apollinaire n’est pas une nouveauté et il est fort probable que les amateurs de littérature érotique connaissent au moins quelques extraits des Onze mille verges, mais son oeuvre est tombée récemment dans le domaine public, ce qui nous vaut cette belle publication aux éditions La Musardine, très coquinement illustrée au fil des pages par Berthommé Saint André. La couverture étant, quant à elle illustrée par une peinture de Picasso, Angel Fernandez de Soto avec une femme.
Cette édition « augmentée » est établie et présentée par l’érotologue Alexandre Dupouy. Les 30 premières pages relatent le parcours de l’ impudique enchanteur qui en son temps a bien défrayé la chronique. Le poète, en plus de donner dans la peinture de mœurs (de tous les mœurs) révolutionnait jusqu’à la forme de l’écrit poétique. Cette présentation de l’auteur donne des clefs pour comprendre que son oeuvre érotique en prose va au-delà des polissonneries grivoises ou pornographies gratuites. A son arrivée à Paris, Apollinaire s’est lié à la gent bohème, des artistes de tout poil et des filles peu farouches, la bonne chère et la bonne chair y étaient fêtées sans vergogne. Le poète pénètre le courant surréaliste et rencontre des personnages comme l’éditeur clandestin Elias Gaucher qui publie du porno sous le manteau. Apollinaire découvre les curiosa de la Bibliothèque Nationale et travaille à les inventorier. [Apollinaire cherche avant tout dans les ouvrages érotiques la matière première de son exaltation du sujet individuel en révolte contre l’ordre moral, en même temps qu’il en fait le lieu d’affirmation d’une liberté totale de l’être….] Bref, l’écrivain n’a pas envie de cacher son goût pour le sexe et la pornographie. Pour autant , cette pornographie, même trash, n’est pas glauque parce que l’esprit farceur n’est jamais loin.
Son amour pour Lou est placé sous le signe du rapport domination/soumission. Apollinaire s’excite et ne l’aime jamais autant que lorsqu’elle prête sa chair au fouet, ..[ ces deux belles éminences doivent prendre à juste titre la robe rouge cardinalice et je me charge de la leur donner..] Il la gourmande aussi lorsqu’elle se fait trop menotte, terme plus charmant que se branler, le lecteur en conviendra…Et pourtant, Apollinaire s’en donne à coeur joie dans ses textes érotiques, l’érotisme est tonitruant, le verbe est gai, vorace, plein de verge et de verve…on baise, on gamahuche, on encule et j’en passe, et si les filles se font cingler les fesses, les coquines ne sont pas en reste pour affirmer leurs goûts et leur vice, parfois au détriment de ceux qui les convoitent. Evidemment, les délicats s’offusqueront par-ci par-là de fumets peu ragoutants dans les Onze mille verges, mais enfin, la nature réclame parfois ses droits les plus primaires….
J’avoue avoir une petite préférence pour Les exploits d’un jeune Don Juan , texte éroticobucolique qui relate l’éveil érotique d’un tout jeune garçon, en villégiature à la campagne. Et aux fâcheux qui s’offusqueront encore de la perversité du regard porté sur le désir adolescent, je répondrai que ce texte vaut cent fois mieux que toutes les vidéos pornos que les petits hommes pourraient visionner pour les initier aux choses de l’amour, même si cela reste parfois en famille, que voulez-vous, les garçonnets ont souvent été émus par une intimité devinée chez tantine ou chez la grande sœur…
Les poésies qui suivent ces deux textes, sont bien troussées, elles évoquent crûment des petites histoires cochonnes, le verbe est si précis qu’il reste à votre imaginaire peu d’option pour construire l’image de la scène, mais c’est rigolo.
Il faut malgré tout noter qu’Alexandre Dupouy informe le lecteur que des doutes subsistent à propos de la paternité d’Apollinaire pour certains de ces écrits .
Et pour illustrer cette oeuvre érotique d’Apollinaire et sa vision de l’érotisme, je ne me prive pas du plaisir de conclure avec ce poème cette fois-ci très sensuel, sous forme de lettre, qu’il écrit à Lou, et je le dédie à tous les censeurs.
Tu m’as parlé de vice en ta lettre d’hier
Le vice n’entre pas dans les amours sublimes
Il n’est pas plus qu’un grain de sable dans la mer
Un seul grain descendant dans les glauques abîmes
Nous pouvons faire agir l’imagination
Faire danser nos sens sur les débris du monde
Nous énerver jusqu’à l’exaspération
Ou vautrer nos deux corps dans une fange immonde
Et liés l’un à l’autre en une étreinte unique
Nous pouvons défier la mort et son destin
Quand nos dents claqueront en claquement panique
Nous pouvons appeler soir ce qu’on dit matin
Tu peux déifier ma volonté sauvage
Je peux me prosterner comme vers un autel
Devant ta croupe qu’ensanglantera ma rage
Nos amours resteront pures comme un beau ciel
Qu’importe qu’essoufflés muets bouches ouvertes
Ainsi que deux canons tombés de leur affût
Brisés de trop s’aimer nos corps restent inertes
Notre amour restera bien toujours ce qu’il fut
Ennoblissons mon coeur l’imagination
La pauvre humanité bien souvent n’en a guère
Le vice en tout cela n’est qu’une illusion
Qui ne trompe jamais que les âmes vulgaires
Apollinaire, œuvres érotiques complètes , présentées par Alexandre Dupouy, édition La Musardine. 2013 – 325 pages, 18 euros .
NB : En clin d’oeil à l’oeuvre érotique d’Apollinaire, j’ai participé au concours de texte court (en 400 mots) organisé par le Festival de Livres en tête et Short édition, et rédigé un petit pastiche satirique érotique, intitulé la Faute à Apollinaire, vous pouvez le lire ici et voter pour qu’il aille en finale. Il suffit d’enregistrer une adresse mail valide.
Certes la poésie érotique d’Apollinaire n’est pas une nouveauté, mais la mise à disposition dans le domaine public des “Onze Mille Verges” permets de la mettre dans des mains moins habituées à la littérature érotique !