Dérangeant, Culte l’est sûrement. Mais peut-être pas simplement pour la raison qu’il met en scène des jeux sexuels pervers auxquels se soumettent par ex une ado ou une femme enceinte, ce qui va sûrement choquer, d’autant plus que le contrat-type inséré en fin d’ouvrage mentionne à l’intention du propriétaire du sujet déposé : Aucun stagiaire de moins de quinze ans ne sera accepté. Non, il y a d’autres choses à en dire.
Ce livre publié aux éditions La Musardine, ne peut être pour moi plaisant à lire parce qu’il n’est qu’une description terriblement précise de la violence réelle et l’humiliation qu’acceptent de subir des soumis et soumises par amour pour leur maître. A moins d’être un lecteur qui justement jouisse uniquement de cette violence, il n’est pas un livre érotique, ni un livre masturbatoire. C’est donc un texte… de littérature.
Personnellement, il m’a laissée dans le même état qu’après la lecture de L’anglais décrit dans le château de Mandiargue. Un mal être diffus dans le ventre, la vraie violence physique (et morale) est pour moi tout ce que j’exècre dans l’existence, qu’elle soit réelle, fictive ou passionnelle. Ce n’est pas un jugement moral, c’est tout juste une réaction épidermique et viscérale, une peur atroce, d’ailleurs en situation de guerre, il vaudra mieux m’abattre tout de suite, je parlerais dès la première torture. La chose n’est certes pas nouvelle, la littérature, depuis Sade nous a donné pas mal de textes qui mettent en scène tous les tabous et célèbrent la violence sexuelle, érotique, pornographique ou amoureuse. Mais Ian Soliane se démarque par la façon dont il relate comment sont formés et mis en esclavage neuf soumis ( non pas par leurs maîtres, mais par un commando d’ initiateurs auxquels ils les ont confiés) au cours d’un stage de dressage qui va durer une semaine.
C’est une des stagiaires qui narre ce séminaire pas ordinaire qui se déroule dans une maison rouge près d’Evry, narration chirurgicale, sans émotion, sans évoquer ses états d’âmes, elle mentionnera juste par ci-par par-là ses pensées vers ses filles et son maître qui lui manquent alors même qu’elle subit des humiliations qui la contentent, qu’elles soient sexuelles ou non. Cette narratrice est Menti, une femme de 45 ans, les autres stagiaires sont tous issus de milieux différents, une adolescente de 15 ans, un arabe, une actrice venue incognito, une femme enceinte, etc…, dont on ne saura rien d’eux. Êtres anonymes, sans identité, tels que doivent l’être les esclaves.
La programmation de la semaine est ordonnée crescendo , elle débute par un couché pas bougé très basique, enseigne comment se vêtir, se comporter en toutes circonstances, assouvir les caprices des maîtres, subir toute exploration brutale des orifices, et notamment se faire humilier, battre, brûler, recevoir pour l’arabe des décharges électriques, (l’origine de cet homme n’est pas sans rapport avec les sévices qu’il subit et même qu’il réclame, première piqûre de rappel) et le tout en souffrant bien sûr de plaisir, se faire étouffer, voire casser quelques os, manger des excréments, couper les tétons, boire de l’urine, et se faire sauter par des chiens,(et là encore Hitler est mentionné pour avoir eu de tels chiens, Ian Soliane ainsi oblige peut-être le lecteur émoustillé à se souvenir ?) et Mendi dit quand elle se fait prendre par la bête C’est le plus près que je puisse approcher de l’amour que je ressens pour Chris.
Bref, je vous laisse découvrir les autres réjouissances…
Le style littéraire du texte est celui de Catherine Millet dans la vie sexuelle de Catherine M. Phrases courtes, réalistes, souvent ignorant la concordance des temps, proches du documentaire, très « imageantes ». Ian Soliane prête à sa narratrice le ton de l’esclave à qui on ne demande pas d’exprimer ses ressentis, ses désirs mais d’appliquer les règles et de soumettre son corps à l’apprentissage de la douleur et au plaisir de la torture et de l’humiliation. Ce que fait Menti, avec quelques mentions, malgré tout, de la raison de cette épreuve : l’amour de Chris, son amant , celui pour qui elle est prête à tout et elle se répète in petto « ..j’aspire à devenir ta chose, serai adepte de toutes tes envies, des plus humiliantes aux plus douloureuses… » (p 51) , la déclaration que font tous les soumis(es).
Pourquoi ce livre, me suis-je demandé ? Mais faut-il chercher une utilité à un récit, un roman ? La lectrice que je suis accepte tout à fait ce texte qui secoue. Des hommes et des femmes sont adeptes de ces sévices et jouissent d’être des esclaves. C’est un fait, et les pourquoi n’ont pas de réponses fiables. Si je n’ai pas aimé ce que j’ai lu, la mise en esclavage, les choses excessivement ordurières qui m’ont paru gratuites, c’est parce que la raison avancée par la 4ème de couverture n’est pas exprimée. L’amour. Il y est écrit : La question que tous ces personnages soulèvent est peut-être la seule qui vaille : jusqu’où peut-on aller par amour ? Mais justement, cette notion manque, en filigrane, l’empreinte amoureuse est absente, son évocation n’est pas convaincante, le maître, l’objet du désir de mise en esclavage, de la passion amoureuse est trop absent, à la limite cela pourrait être aussi le récit d’une semaine d’initiation aux plaisirs des sévices sexuels, juste pour le fun de la jouissance, avec un panel de tortures bien sophistiquées, qui décidément couve chez les gens les plus ordinaires. J’aurais aimé, au moins sentir que l’amour guidait ces femmes et ces hommes, même sans recourir à la romance. Que cela soit juste ressenti.
Mais soit ! Restons dans ce cas de figure. Ok, pour cette quête de souffrance absolue par amour, cette volonté de s’oublier pour l’autre, d’accepter tout , jusqu’au bord de l’abîme, du danger, de la mort (une stagiaire la frôle). Mais de quel amour s’agit-il ? Est-ce si inacceptable pour la morale de reconnaître l’objet de son culte comme un dieu et d’accepter de lui obéir et d’être son esclave par amour ? ..Le prénom de l’amant de Menti est-il choisi à dessein ? Chris…t ? Souffrir pour le Christ.
La mortification de la chair, la torture du cilice, le jeûne, vivre dans la pauvreté, le renoncement à soi, le retrait du monde pour l’amour du seigneur, donner sa vie pour le Christ, accepter tout pour l’amour de lui et l’amour de soi, la douleur acceptée par la volonté du Très Haut : j’aime Dieu si fort que Dieu va m’aimer….N’est-ce pas cet amour-là que nous décrit Ian Soliane ?
Culte , Ian Soliane – Edition La Musardine – 112 pages – 13,50 euros.
crédit photo en noir et blanc : Frédéric Fontenoy