c’est toujours la même histoire

……Je lui glisse entre les doigts. J’ai marché des jours et des jours, des week-ends entiers, seule, dans le silence des forets et des chemins côtiers, mon labrador à mes côtés à ne prêter attention qu’à mettre un pied devant l’autre, jusqu’à ce ma tête soit vide de toute douleur lorsque je pense à lui. Marcher est une très bonne thérapie pour tempérer d’inutiles rancœurs. Le chien le meilleur compagnon des sans amant fixe. J’ai appris et cultivé cette solitude apaisée. Il n’aime pas ce détachement apparent que j’affiche, ça le rend fou, il me harcèle, exige que j’aie besoin de lui, quête dans mon regard comme un malade la moindre fêlure de peur que son miroir se brise. Il n’a su que faire germer en moi l’idée que la guerre et ses batailles alimentent sa soif d’étreintes et d’amours et qu’il fallait donc que je parte en guerre. Une femme ne prend les armes que par légitime défense. La douceur me quitte désormais dès que ses mains se posent sur ma peau. J’ai pris goût à cette lutte intestine tortueuse, je la veux romaine dans l’amphithéâtre de cette petite chambre rouge que j’ai aménagée et réservée à nos amours, corps à corps, cerveaux siphonnés, subjuguée par la beauté de notre ballet, de nos cris et de nos humeurs déversées, sueur, foutre, salive, sang, pisse et larmes. Toute cette lave en éruption m’échauffe les sens. Comme sur les champs de bataille, on invoque Dieu et le Diable, on joue à des jeux de mains  qui claquent et à des jeux très vilains, je livre mon visage au jet doré et chaud que sa verge fait mousser dans ma bouche – je te pisse dans la bouche m’assène-t-il la voix métallique, il faut dire les choses, le verbe est souvent l’indispensable catalyseur de la surexcitation, un uppercut qui cueille au vol, soulève et travaille au ventre. J’abandonne mes bras et mes chevilles aux fers et aux cordes après forces ruades, mon cul au cuir de sa ceinture, il veut qu’il soit zébré, écarlate et brûlant comme sa folle excitation mentale, la grande glace de l’armoire me renvoie la scène de ce puissant désordre, je le métamorphose en gladiateur mal nourri, le glaive au ventre, immense et terrible dans le miroir déformé, vainqueur terrassant l’ennemie-sœur de tout son attirail guerrier qu’il enfonce dans ma croupe comme il aurait empalé le vaincu de son épée. Mes râles de plaisir et de jouissance célèbrent la beauté du combat et l’insensée volupté de l’inclination à la soumission. Voilà bien comme je le travaille au corps de façon chafouine quand il croit triompher et m’asservir à lui. Cramponné  à mes hanches il se persuade de défoncer mon armure en défonçant mon cul et de prendre la place forte lorsqu’il décharge en grognant sur mon dos sans grande gloire, en oubliant qu’un gladiateur même vainqueur n’est rien d’autre qu’un esclave. C’est alors que la douceur me revient quand il glisse à mes côtés et que le sommeil le rend à mon empire, ses jambes enlacées aux miennes.  Mes doigts sont doux sur son flanc griffé. Il ne saura jamais comme je l’aime ainsi, en débandade, à moitié mort. En le voyant anéanti par la jouissance, je pense à ses femmes, mes salopes de sœurs, ces maîtresses qu’il a formées, sculptées, polies, cultivées, aimées pour certaines. A leur rage d’être mises au secret de façon autoritaire. A leur entêtement à s’en venger, à lui faire mordre la poussière, à lui faire bouffer sa virilité avec son consentement pervers.

Il y a des macchabées dans ton arrière boutique mon vieil amour… Je le sais, il me l’a dit une nuit de lune teigneuse. Mais n’a-t-il pas déballé ses crimes parfaits dans d’autres draps pour voir briller dans le regard des extasiées l’épouvante admirative? L’audace rien que dans le bluff. Je scrute ses yeux d’ange égaré, ça m’électrise aussi d’imaginer le pas fatal du baiser et du couteau. De dire ou de faire, parce que dire c’est faire, il ne sait même plus démêler le vrai du faux. Je ne saurai jamais et ça me plaît ainsi. Il a les mains et la bouche sales, mais toute ma mansuétude. Il n’est pas facile d’être un homme.

Je regarde son sexe recroquevillé. Tout ça pour ça. Ainsi endormi, on ne peut pas l’appeler queue.  Il craint comme les autres de ne pas avoir la plus grosse ou la plus grande, de ne pas être le meilleur baiseur, de ne pas faire crier le plus fort ces femmes qu’il étreint. De la bouche d’un homme j’ai su que c’est là finalement les tenants et les aboutissants de leur vie d’homme à tous, de toutes leurs angoisses et leurs difficultés. Pour ce morceau de chair qu’il s’agit de dresser le plus haut possible au bon moment pour nous donner du plaisir.

………

Extrait de  mon manuscrit en cours de lecture © Anne Bert 

Illustrations :

– Vladan Matijević – Les Aventures illustrées de Minette Accentiévitch

– Nu d’un homme en bleu

8 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. anne dit :

    :))… ah non,c’est pas mon truc les p’tits jeunes,
    non, mais vous êtes peut-être un phénomène du genre , l’exception…
    demandez à vos copains, et si vraiment il y a une concentration dans votre entourage d’hommes qui s’en foutent, alors dites-le moi, j’envisage de faire une interview, c’est peut-être inhérent à votre région, un truc endémique

  2. Si j’ peux m’ permettre : Arrêtez de fréquenter des gymnastes adolescents. 🙂

  3. anne dit :

    @ mon chien aussi : oui, je suis d’accord toutes les généralités sont proprement ridicules, vous avez raison, ainsi que tout ce qui est réducteur. Mes personnages sont souvent ridicules du reste, je les aime ainsi : humains ;)), à notre image.
    Ceci dit , vous êtes un homme c’est sans doute difficile à admettre, mais pourtant… pourtant je n’ai pas connu un seul homme qui ne soit pas soucieux de ses ‘performances’, cet hideux mot en la matière

  4. « De la bouche d’un homme j’ai su que c’est là finalement les tenants et les aboutissants de leur vie d’homme à tous, de toutes leurs angoisses et leurs difficultés. Pour ce morceau de chair qu’il s’agit de dresser le plus haut possible au bon moment pour nous donner du plaisir. »

    C’est proprement ridicule, comme toutes les généralités. Mais votre texte est très joliment écrit.

  5. sylvaine vaucher dit :

    Crescendo et decrescendo, si tu lis une partition avec la baguette d’un chef, l’orchestre aura intérêt a vite trouver la tonalité ! Reste à savoir de quel instrument tu te joues…car il y a la clé de sol, fa, et tous les uts ! Je comprends qu’une longue promenade s’impose dans un bois dressé d’arbres et de ronces !
    Et aussi, c’est bien connu, les labradors aiment patauger dans l’eau.

  6. Olivier Memling dit :

    L’image qui illustre « c’est toujours la même histoire »
    est l’écho grahique de Pichette dans Nucléa
    « Oh passe, oh tourne en moi comme la clef du monde »
    Mais je trouve cette clef un peu petite
    et vous partagez certainement ce …sentiment , non
    en la comparant notamment aux propos de la fin du texte

  7. Eric Schnel dit :

    aie, le com est parti tout seul…> La narratrice disais-je, dit avoir toute mansuétude pour les hommes, ça me console

  8. Eric Schnel dit :

    Le moins qu’on puisse dire c’est que la lecture de votre blog est chronophage et ne laisse pas indifférent. Entre le texte précédent et celui-ci on en prend plein la tête et les sens. La narr

votre grain de sel